La reconnaissance acoustique des chauves-souris est devenue un atout incontournable pour concilier développement humain et préservation de la biodiversité. Qu’il s’agisse de limiter la mortalité de ces mammifères autour des parcs éoliens ou de planifier un éclairage public respectueux des corridors de vol nocturnes, l’écologue de terrain doit maîtriser l’art délicat d’identifier les chauves-souris par leurs ultrasons. Ce savoir-faire technique, encore peu répandu, est pourtant essentiel pour mener des études naturalistes de qualité et répondre aux exigences réglementaires en matière de protection des chiroptères.
Les défis techniques de l’identification acoustique des chiroptères
Identifier une chauve-souris à partir de son chant ultrasonore est un exercice complexe qui requiert à la fois du bon matériel et une solide expertise. Plusieurs défis techniques expliquent la difficulté de la reconnaissance acoustique des chiroptères :

Diversité des espèces et des signaux ultrasonores
La France métropolitaine abrite plus de 30 espèces de chauves-souris, aux vocalisations variées en fréquence et en forme d’ondes. Chaque espèce émet des signaux d’écholocation qui lui sont propres, mais il existe aussi une grande hétérogénéité de cris au sein d’une même espèce selon les situations (déplacement, chasse, interactions sociales). Cette diversité rend l’élaboration de clés d’identification acoustique ardue.

Signaux proches et espèces « cryptiques »
Certaines chauves-souris produisent des ultrasons très semblables. C’est le cas de nombreux Murins (Myotis), dont les appels se chevauchent tellement qu’il est difficile de les distinguer avec certitude. Ces espèces dites cryptiques ne peuvent souvent être différenciées que par la capture et l’examen direct des individus, ce qui complique l’identification sur sonogramme.

Variabilité des appels :
Un même individu n’émet pas toujours le même son. L’intensité, la durée et la fréquence des cris peuvent varier en fonction du vol, du paysage environnant ou du comportement (un appel de poursuite d’insecte diffère d’un appel de simple orientation). Cette variabilité intra- et inter-individuelle signifie qu’une base de données acoustique doit couvrir de nombreux cas pour chaque espèce – une gageure pour l’écologue débutant.

Conditions de terrain et qualité des enregistrements
L’efficacité de détection dépend fortement des conditions extérieures. La météo (pluie, vent, température) et les bruits ambiants peuvent altérer ou masquer les ultrasons enregistrés. De plus, la distance et l’angle entre la chauve-souris et le microphone influent sur le signal capté. Un enregistrement de mauvaise qualité (faible intensité, beaucoup de parasites) rend l’analyse du sonogramme difficile, augmentant le risque d’erreur.

Volume de données et limites des outils automatisés :
Les détecteurs ultrasonores actuels peuvent générer des milliers d’enregistrements en quelques nuits de suivi. Traiter manuellement un tel volume de données est chronophage. Bien qu’il existe des logiciels d’identification automatique qui aident à pré-classer les appels, leurs résultats ne sont pas infaillibles. Certains faux positifs ou faux négatifs échappent à l’algorithme, surtout pour les espèces aux signaux complexes. L’écologue doit donc passer au crible de nombreux sons et valider lui-même l’espèce observée – une tâche qui exige du temps, de la rigueur et de l’expérience.
Un savoir-faire crucial pour les études d’impact et la protection des chauves-souris
La législation française impose une vigilance rigoureuse vis-à-vis des chauves-souris dans tout projet d’aménagement. En France, ces animaux bénéficient d’une protection légale stricte depuis 1981, inscrite dans le Code de l’environnement. Il est interdit de les perturber, de les capturer ou de dégrader leurs habitats sans dérogation exceptionnelle accordée par l’État. Ainsi, lors de chaque étude d’impact environnemental, un inventaire chiroptérologique complet est obligatoire. L’écologue doit recenser les espèces de chauves-souris présentes sur le site – principalement grâce à des enregistrements ultrasonores nocturnes – afin d’évaluer correctement les impacts potentiels et de respecter le principe d’évitement des atteintes aux espèces protégées.
Si l’étude omet des chauves-souris pourtant présentes, elle sera juridiquement considérée comme incomplète, et le projet pourra être suspendu ou annulé pour non-respect des obligations réglementaires. Un inventaire bâclé peut aboutir à l’absence de demande de dérogation pourtant nécessaire, exposant le maître d’ouvrage et le bureau d’étude à des risques juridiques majeurs. Des cas concrets récents l’illustrent : un permis de construire a par exemple été bloqué par la justice car l’évaluation chiroptérologique du site n’avait pas été menée correctement. À l’inverse, une identification ultrasonore fiable des espèces permet de déterminer dès l’amont si une demande de dérogation « espèces protégées » sera requise, et de prévoir les mesures d’atténuation ou de compensation adéquates. Cela évite des retards de projet inutiles et, surtout, prévient la destruction accidentelle de colonies de chauves-souris.
Par ailleurs, sur les territoires incluant un site Natura 2000, une évaluation d’incidences est impérative : tout projet doit démontrer qu’il n’aura pas d’effet significatif sur les chauves-souris d’intérêt communautaire, faute de quoi il pourra être refusé ou substantiellement modifié. Là encore, seul un suivi acoustique approfondi mené par un écologue compétent peut garantir une évaluation conforme. Pour l’ensemble de ces études réglementaires (étude d’impact, dossier de dérogation, évaluation Natura 2000), la compétence en bioacoustique des chiroptères est devenue cruciale. Les bureaux d’études écologiques – et même les collectivités locales – l’ont bien compris : investir dans la formation bioacoustique des chiroptères est désormais considéré comme un choix stratégique pour maîtriser les risques et se conformer à la loi. Autrement dit, développer ce savoir-faire acoustique n’est pas seulement un plus, c’est une nécessité pour tout écologue souhaitant travailler dans le respect des exigences actuelles en matière d’environnement.
Erreurs d’identification acoustique : exemples et conséquences
Malgré les technologies disponibles (détecteurs automatiques, logiciels de reconnaissance ultrasonore), l’erreur d’identification n’est jamais loin. Or, les faux pas en acoustique peuvent avoir des conséquences lourdes. Confondre une espèce rare avec un taxon plus commun à cause de signaux trop similaires peut mener à sous-estimer les enjeux de conservation sur un site. C’est le cas de nombreux Murins (Myotis) dont les appels se ressemblent tellement que l’identification spécifique devient délicate voire impossible sans capture. Un écologue inexpérimenté pourrait ainsi conclure à tort à l’absence d’une espèce pourtant présente, faute de la reconnaître au son – avec le risque de proposer des mesures de protection insuffisantes. À l’inverse, une mauvaise interprétation de sonogramme peut faire croire à la présence d’un chiroptère qui n’y est pas et entraîner des mesures de protection superflues, mobilisant des ressources à tort.
De plus, la qualité variable des enregistrements complique l’analyse : un microphone mal orienté, la pluie ou des bruits parasites peuvent masquer des signaux importants. Il faut souvent une oreille entraînée pour distinguer un cri réel d’un simple artefact sur le sonogramme. La charge de travail entre aussi en ligne de compte – une semaine de pose d’enregistreurs peut générer des milliers de sons à examiner. Les logiciels d’analyse automatique aident à trier ces données, mais ils ne sont pas infaillibles. In fine, l’intervention d’un humain expérimenté reste souvent indispensable pour valider les espèces détectées. Sans ce regard expert, le risque d’erreur (faux négatifs ou faux positifs) augmente, avec tout ce que cela implique en termes de diagnostics écologiques erronés et de décisions inappropriées sur le terrain.
Maîtriser l’analyse des sonogrammes : l’importance de la formation
La bonne nouvelle, c’est qu’il est possible d’apprendre la reconnaissance acoustique des chauves-souris ! L’analyse des sonogrammes – ces représentations visuelles des ultrasons – s’enseigne et se perfectionne grâce à la pratique. Face aux défis évoqués plus haut, une formation spécialisée pour les écologues est la meilleure voie pour gagner en compétence sans perdre des années en autodidacte. Ce type de programme permet d’acquérir rapidement les connaissances et réflexes indispensables, en partageant l’expérience de bioacousticiens aguerris. Par exemple, une bonne formation apprendra à :
- caractériser les types de cris caractéristiques de chaque espèce ou groupe d’espèces ;
- distinguer sur un sonogramme un appel de navigation (déplacement) d’un appel de chasse (attaque d’une proie) ;
- éviter les confusions courantes (échos, ultrasons d’insectes, interférences avec d’autres sources sonores) ;
- maîtriser les outils logiciels d’analyse et de classification automatique des ultrasons.
Concrètement, la formation à la détermination bioacoustique des chiroptères – niveau intermédiaire proposée par Franchir un Cap offre aux écologues de terrain un apprentissage intensif axé sur la pratique. Les participants y apprennent à reconnaître les espèces à partir de leurs enregistrements ultrasonores, en développant peu à peu les réflexes d’un bioacousticien chevronné. À l’issue de ce cursus de niveau intermédiaire, ils pourront aborder leurs suivis acoustiques avec bien plus de confiance et d’efficacité – un atout reconnu tant par les employeurs que par les autorités environnementales lors du contrôle des études, et déterminant pour maîtriser les risques réglementaires. En se formant sérieusement à l’identification ultrasonore, l’écologue se donne ainsi les moyens de fiabiliser ses diagnostics et d’aligner ses études sur les meilleurs standards de qualité. Cette spécialisation renforce la crédibilité professionnelle du bureau d’études tout en contribuant directement à une meilleure protection des chauves-souris sur le terrain.
Conclusion : vers une expertise acoustique au service de la biodiversité
La reconnaissance acoustique des chauves-souris s’impose désormais comme un savoir-faire de pointe, à la croisée de la technologie et de l’écologie de terrain. Pour un écologue, monter en compétence dans ce domaine, c’est non seulement gagner en efficacité et en fiabilité lors des études d’impact, mais aussi contribuer concrètement à la préservation d’espèces menacées. Chaque sonogramme correctement interprété peut faire la différence pour éviter la destruction d’un gîte ou la mortalité d’une colonie, ce qui donne du sens à cette expertise pointue.
À l’heure où les outils évoluent (intelligence artificielle d’analyse, détecteurs connectés…) et où les exigences réglementaires se renforcent, l’expertise en bioacoustique des chiroptères sera de plus en plus recherchée. Pourquoi ne pas franchir le cap dès maintenant ? En investissant du temps dans la formation et la pratique, tout naturaliste passionné peut acquérir ce savoir-faire précieux. L’écologue formé à l’identification ultrasonore deviendra un acteur clé de la protection des chauves-souris – ces gardiennes discrètes de nos écosystèmes nocturnes – en aidant à mieux les détecter pour mieux les protéger.