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Protection stricte des chauves-souris : Obligations légales et bonnes pratiques pour les bureaux d’études écologiques

26 mai 2025 par
Protection stricte des chauves-souris : Obligations légales et bonnes pratiques pour les bureaux d’études écologiques
Olivier DUPRE

En France, toutes les espèces de chauves-souris bénéficient d’une protection légale stricte depuis 1981 La France métropolitaine abrite environ 34 à 36 espèces de chiroptères, toutes protégées en vertu du Code de l’environnement. Cette protection implique l’interdiction de détruire, capturer ou perturber ces animaux ainsi que de dégrader leurs habitats, sauf dérogation exceptionnelle accordée par l’État. Les bureaux d’études écologiques sont en première ligne pour veiller au respect de cette réglementation lors des projets d’aménagement. Cet article explique la notion de protection stricte, les obligations d’inventaires naturalistes qui en découlent, les risques juridiques en cas de manquement, et l’importance d’une expertise bioacoustique fiable pour mieux protéger les chauves-souris.

Une protection stricte pour toutes les espèces de chauves-souris

La “protection stricte” des chauves-souris signifie qu’aucune atteinte ne peut être portée à ces espèces ni à leurs milieux. Concrètement, le Code de l’environnement (articles L.411-1 et suivants) interdit de tuer, blesser, capturer ou perturber intentionnellement les chauves-souris, de même que de détruire ou altérer leurs sites de reproduction et leurs gîtes. Toute destruction d’animaux protégés et de leurs habitats constitue un délit puni par la loi. Les sanctions prévues sont lourdes : jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende en cas d’infraction constatée. (À noter que ces peines peuvent être doublées si l’infraction est commise dans le cœur d’un parc national ou d’une réserve naturelle.) Il faut souligner que la seule présence d’une espèce protégée sur un site confère indirectement une protection à ce site : la législation interdit en effet de porter atteinte aux espèces concernées et aux milieux qui les supportent.

Des dérogations restent possibles – par exemple pour un projet d’utilité publique majeure – mais uniquement à titre exceptionnel et sous conditions très strictes. L’article L.411-2 du Code de l’environnement prévoit que l’autorité administrative ne peut accorder une dérogation aux interdictions visant une espèce protégée que si toutes les conditions suivantes sont remplies :

Absence d’autre solution satisfaisante  pour mener le projet (c’est-à-dire qu’aucune alternative n’existe sans impacter l’espèce) ;
Raison impérative d’intérêt public majeur justifiant qu’on porte atteinte à l’espèce (ex. projet indispensable pour la sécurité, la santé publique ou un enjeu socio-économique crucial) ;
Maintien dans un état de conservation favorable des populations de l’espèce concernée dans leur aire naturelle.

En pratique, ces critères signifient qu’il est rare et difficile d’obtenir une autorisation de déroger à la protection des chauves-souris. Les porteurs de projets doivent donc tout mettre en œuvre pour éviter d’impacter ces espèces protégées – ce qui passe d’abord par des inventaires écologiques approfondis en amont du projet.

Inventaires naturalistes : une obligation lors des études d’impact et dossiers d’incidences

Identifier la présence éventuelle de chauves-souris est une obligation légale dans toute étude environnementale de projet. Lorsqu’un projet d’aménagement est soumis à étude d’impact (évaluation environnementale), le maître d’ouvrage et le bureau d’étude doivent recenser la faune présente sur site, en portant une attention particulière aux espèces protégées comme les chiroptères. Cette exigence découle du principe d’évitement : on ne peut éviter ou atténuer les impacts sur une espèce protégée que si on a correctement évalué sa présence. Ainsi, une étude d’impact qui omettrait de détecter des chauves-souris présentes serait juridiquement considérée comme lacunaire, pouvant conduire à la remise en cause du projet. En cas d’insuffisance avérée d’une étude d’impact, le juge administratif n’hésitera pas à apprécier lui-même les risques encourus par l’espèce afin de déterminer si une dérogation aurait dû être demandée avant le projet. Autrement dit, si l’étude écologique est incomplète, le projet court le risque d’être bloqué le temps qu’une évaluation correcte soit réalisée – voire d’être annulé purement et simplement pour non-respect des obligations réglementaires.

Réaliser un inventaire chiroptérologique rigoureux est donc indispensable. Cela implique d’adopter des protocoles adaptés : prospections de terrain aux saisons appropriées (printemps/été pour détecter les colonies de reproduction, automne pour la migration, hiver pour d’éventuels sites d’hibernation), inspections visuelles des gîtes potentiels (grenier, arbres creux, caves…) et surtout enregistrements acoustiques nocturnes. Les chauves-souris étant discrètes et actives essentiellement la nuit, l’approche acoustique est primordiale. L’étude doit généralement comporter plusieurs sessions de suivi afin de couvrir différents contextes (conditions météo variées, périodes d’activité différentes) et maximiser les chances de contact avec les chiroptères présents. Un inventaire bâclé ou insuffisant constitue un manquement aux obligations du bureau d’étude : il peut aboutir à des mesures de compensation inadéquates, à l’absence de demande de dérogation pourtant nécessaire, et in fine exposer le projet (et le bureau d’étude lui-même) à des risques juridiques majeurs.

Par ailleurs, en site Natura 2000, si le projet est susceptible d’affecter une zone désignée pour des chauves-souris d’intérêt communautaire, un dossier d’incidences Natura 2000 doit être réalisé. De nombreuses espèces de chauves-souris (par ex. les Rhinolophes, certains Murins…) figurent en effet parmi les espèces d’intérêt communautaire à protéger. L’évaluation d’incidences Natura 2000 consiste à analyser l’impact du projet sur les habitats et espèces ayant justifié la désignation du site. Là encore, des prospections naturalistes de qualité sont impératives pour déterminer si le projet risque de compromettre les objectifs de conservation du site, et le cas échéant proposer des ajustements. Un dossier d’incidences mal documenté sur les chauves-souris pourrait entraîner un avis défavorable de l’autorité environnementale, ou être retoqué en contentieux.

Si l’inventaire met en évidence la présence de chauves-souris protégées susceptibles d’être impactées, le porteur de projet a l’obligation de solliciter une dérogation avant de réaliser les travaux. Il ne suffit pas d’indiquer quelques mesures d’atténuation dans le rapport : il faut obtenir formellement une autorisation pour impacter l’espèce. La jurisprudence récente l’a rappelé : dans une affaire de parc éolien, une association a contesté qu’aucune dérogation n’ait été demandée alors que l’étude d’impact révélait la présence de plusieurs espèces de chiroptères protégées et que le risque de destruction de spécimens n’était pas exclu malgré les mesures préventives envisagée. Autrement dit, dès lors qu’un risque non négligeable pèse sur des chauves-souris, le dépôt d’un dossier de dérogation (avec étude d’incidence détaillée et mesures compensatoires) est obligatoire. Ne pas le faire expose le maître d’ouvrage à un refus de son autorisation environnementale ou à une sanction a posteriori.

Risques pénaux et juridiques en cas d’inventaire insuffisant

Le non-respect de la réglementation sur les espèces protégées, notamment suite à un inventaire incomplet ou erroné, peut avoir de lourdes conséquences. Voici les principaux risques encourus en cas de carence d’inventaire ou de non-prise en compte des chauves-souris dans un projet :

Sanctions pénales : réaliser des travaux entraînant la destruction ou perturbation de chauves-souris sans autorisation constitue une infraction pénale. L’article L.415-3 du Code de l’environnement prévoit jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende pour la destruction illégale d’espèces protégées. Ces peines peuvent s’appliquer aux responsables du projet, et éventuellement aux exécutants, en cas de dommages avérés (par exemple destruction d’une colonie lors de la démolition d’un bâtiment non inspecté préalablement).

Sanctions civiles : indépendamment du pénal, des associations de protection de la nature ou des tiers peuvent demander réparation en justice du préjudice écologique ou moral. Par exemple, en 2021, des exploitants de parcs éoliens ont été condamnés à verser des dommages et intérêts à France Nature Environnement suite à la destruction non autorisée de chauves-souris par leurs installations . Ce type de contentieux reste rare, mais il souligne que la responsabilité financière des maîtres d’ouvrage peut être engagée si une insuffisance d’étude a conduit à la mort d’animaux protégés.

Responsabilité du bureau d’étude : le bureau d’études écologiques ayant réalisé l’inventaire engage sa responsabilité professionnelle. En effet, il a un devoir de conseil et de diligence vis-à-vis de son client maître d’ouvrage. S’il omet de détecter une colonie de chauves-souris ou minimise leurs enjeux, il induit son client en erreur et l’expose à des sanctions. Le maître d’ouvrage, confronté à un contentieux ou à un surcoût (arrêt de chantier, mesures correctives), pourrait se retourner contre le bureau d’étude pour faute ou négligence dans la prestation. Au-delà des aspects juridiques, un manquement sérieux peut ternir la réputation du cabinet et compromettre sa crédibilité auprès des autorités et partenaires. Il est donc dans l’intérêt direct des bureaux d’études de produire des inventaires les plus fiables et complets possible, afin de sécuriser juridiquement les projets de leurs clients tout en contribuant à la préservation effective des chauves-souris.

Risques administratifs : un projet soumis à autorisation administrative (permis de construire, autorisation environnementale, etc.) peut être retardé ou annulé en raison d’une mauvaise prise en compte des chauves-souris. D’une part, l’autorité environnementale peut exiger des compléments d’étude, allongeant les délais d’instruction. D’autre part, en cas de recours juridique contre le projet, le juge administratif pourra censurer l’autorisation délivrée si l’étude d’impact est jugée insuffisante sur les espèces protégées. Des jurisprudences récentes ont annulé des permis ou enjoint à régulariser des situations au motif que l’inventaire biodiversité était incomplet et qu’une dérogation espèces protégées aurait dû être demandée. Dans des cas extrêmes, un projet déjà réalisé peut même être remis en cause : un parc éolien construit sans étude suffisante pourrait être arrêté, voire démantelé, sur décision de justice si la violation de la loi sur les espèces protégées est avérée.

L’importance d’une expertise bioacoustique fiable pour les chiroptères

Réaliser un bon inventaire de chauves-souris requiert des compétences spécialisées, en particulier en bioacoustique. En effet, la plupart des chauves-souris sont détectables surtout par leurs cris ultrasonores émis en vol la nuit. Ces ultrasons sont inaudibles pour l’oreille humaine, ce qui rend indispensable l’utilisation de détecteurs/enregistreurs d’ultrasons pour repérer et enregistrer l’activité des chiroptères. Concrètement, on installe des enregistreurs sur site, qui captent les émissions acoustiques des chauves-souris du coucher du soleil jusqu’à l’aube. Par la suite, une analyse informatique des enregistrements est effectuée : elle permet d’identifier les espèces présentes (grâce aux caractéristiques des sonagrammes de leurs cris) et d’évaluer leur activité (nombre de contacts, types de comportements: chasse, transit, etc.) sur la zone étudiée. Ces données sont précieuses pour estimer l’importance du site pour les chiroptères et orienter les mesures de réduction d’impact.

Cependant, l’interprétation des enregistrements acoustiques est un exercice délicat. Certaines espèces ont des signaux ultrasonores très semblables, et il arrive que des séquences enregistrées soient de qualité médiocre, rendant l’identification formelle difficile voire impossible Par exemple, les ultrasons de plusieurs espèces de pipistrelles se chevauchent en fréquence, ou un enregistrement incomplet peut empêcher de trancher entre deux espèces proches. Sans une solide expérience en bioacoustique, le risque d’erreur d’identification est élevé : un observateur non averti pourrait confondre des espèces (passer à côté d’une espèce rare en la prenant pour une commune, par exemple) ou ne pas détecter la présence de certaines chauves-souris plus discrètes. De telles erreurs faussent l’étude d’impact et peuvent conduire à des décisions inadaptées (mesures de protection insuffisantes, absence de demande de dérogation alors qu’il en aurait fallu une, etc.), avec les conséquences juridiques vues précédemment.

C’est pourquoi une expertise bioacoustique fiable est indispensable pour les inventaires chiroptérologiques. Le personnel du bureau d’étude doit soit posséder en interne les compétences pointues en identification des chauves-souris par leurs cris, soit faire appel à des spécialistes ou se former en continu. Des logiciels d’analyse automatique des ultrasons existent (Sonochiro, Tadarida, Kaleidoscope©, etc.), mais ils doivent être utilisés par des écologues formés, capables de vérifier et d’affiner les résultats. L’enjeu est d’avoir des données robustes : un inventaire acoustique bien conduit, c’est la garantie que toutes les espèces de chauves-souris présentes ont été correctement détectées et identifiées, et donc que le dossier réglementaire pourra être instruit sans vice ni surprise ultérieure (découverte impromptue d’une colonie non détectée, par exemple).

Se former pour mieux protéger les chauves-souris

En résumé, la protection stricte des chauves-souris imposée par le Code de l’environnement oblige les bureaux d’études et maîtres d’ouvrage à une grande vigilance : il leur faut anticiper la présence possible de ces espèces protégées, mener des inventaires naturalistes exhaustifs et fiables, et respecter scrupuleusement les procédures (demandes de dérogation si nécessaire). Les enjeux juridiques, financiers mais aussi éthiques (préserver des espèces menacées qui jouent un rôle écologique précieux) sont considérables. Face à cela, la meilleure arme est la compétence technique et réglementaire. Il est donc crucial pour les professionnels de l’écologie de monter en compétences sur le sujet des chiroptères.

Nous appelons ainsi les bureaux d’études et écologues à investir dans la formation pour améliorer leurs diagnostics acoustiques et leurs études d’impact. Par exemple, la Formation à la détermination bioacoustique des chiroptères  proposée par Franchir un Cap (5 jours alliant cours et terrain) est une opportunité pour maîtriser l’identification acoustique des chauves-souris et fiabiliser vos inventaires. N’hésitez pas à consulter le programme détaillé de cette formation ici : Formation à la bioacoustique des chiroptères – niveau intermédiaire. En vous formant et en restant à jour des bonnes pratiques, vous contribuerez activement à la protection des chauves-souris tout en sécurisant juridiquement les projets qui vous sont confiés. Ensemble, allions expertise et engagement pour franchir un cap dans la préservation de ces fascinants mammifères volants !

Protection stricte des chauves-souris : Obligations légales et bonnes pratiques pour les bureaux d’études écologiques
Olivier DUPRE 26 mai 2025
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