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Inventaire des chiroptères : bioacoustique vs capture au filet

3 juin 2025 par
Inventaire des chiroptères : bioacoustique vs capture au filet
Olivier DUPRE

Dans le cadre des études d’impact environnemental, un inventaire des chiroptères (chauves-souris) est souvent requis afin d’être conforme aux exigences réglementaires en vigueur. Les bureaux d’études écologiques sont alors confrontés à un choix méthodologique crucial : faut-il privilégier la détection bioacoustique (enregistrement des ultrasons émis par les chauves-souris) ou la capture au filet (capture temporaire des individus à l’aide de filets, puis relâcher) pour recenser les espèces présentes ? Cet article compare ces deux approches en détaillant leurs avantages, inconvénients, contraintes logistiques, impacts sur la faune, ainsi que le cadre légal associé. Il relaie également les recommandations officielles (DREAL, CNPN, etc.), afin d’aider à la décision technique pour un inventaire chiroptères réglementaire et efficace.

Méthode bioacoustique (détection ultrasonore)

La méthode bioacoustique consiste à utiliser des détecteurs d’ultrasons pour enregistrer les cris d’écholocation des chauves-souris, puis à analyser ces enregistrements à l’aide de logiciels spécialisés. Les enregistreurs passifs peuvent être déployés sur le terrain, fonctionnant toute la nuit et sur plusieurs nuits consécutives si nécessaire. Cette approche repose sur le fait que chaque espèce émet des signaux ultrasonores caractéristiques lors de ses déplacements et de la chasse d’insectes. L’analyse des sonagrammes permet ainsi d’identifier les espèces présentes sur un site donné sans avoir à capturer physiquement les animaux.

Avantages de la méthode bioacoustique 

 Efficacité de détection élevée : L’inventaire acoustique est souvent considéré comme la meilleure méthode pour détecter la présence du maximum d’espèces de chauves-souris sur un site, améliorant la probabilité de détection avec un effort réduit par rapport à l’observation visuelle ou la capture. Un détecteur peut fonctionner toute la nuit et sur plusieurs sites simultanément, offrant une couverture spatio-temporelle large.

Méthode non invasive : La bioacoustique n’implique aucune manipulation directe des animaux. Il n’y a donc pas de stress induit ni de risque de blessure pour les chauves-souris lors de l’inventaire, contrairement à la capture au filet. C’est une approche passive qui limite fortement le dérangement de la faune.

Couverture de tous types de milieux : Les détecteurs d’ultrasons peuvent être installés dans une grande variété d’habitats (forêts, zones humides, milieux urbains, etc.) et même en hauteur (canopée) si besoin. Ils permettent d’échantillonner efficacement des sites difficiles d’accès pour la capture.

Logistique allégée : La mise en œuvre est relativement simple – poser des enregistreurs et les récupérer plus tard – ce qui nécessite moins de personnel en continu sur le terrain. Cela facilite l’échantillonnage simultané de plusieurs sites et la reproduction de suivis standardisés dans le temps.

 Inconvénients de la méthode bioacoustique

Identification parfois incertaine : Malgré les progrès des logiciels et des bases de données acoustiques, certaines espèces de chauves-souris produisent des ultrasons trop semblables pour être distinguées avec certitude. Par exemple, de nombreux Murins (Myotis) émettent des signaux proches, rendant l’identification spécifique délicate. Ces espèces « cryptiques » ne peuvent souvent être confirmées que par la capture directe.

Analyse spécialisée nécessaire : L’enregistrement n’est que la première étape – il faut ensuite analyser des milliers de sons. Cette interprétation requiert une expertise technique et du temps. L’usage de logiciels d’analyse (classification automatique, filtres) aide au tri, mais l’intervention d’un bioacousticien expérimenté est souvent indispensable pour valider les espèces détectées. Une montée en compétences est donc à prévoir pour exploiter pleinement cette méthode (voir notamment notre formation à la détermination bioacoustique des chiroptères – niveau intermédiaire).

Pas de données individuelles : La détection acoustique renseigne sur la présence des espèces et leur activité (indice d’activité, fréquentation des habitats), mais elle ne fournit aucune information sur les individus eux-mêmes. Contrairement à la capture, on ne peut pas déterminer le sexe, l’âge, le statut reproducteur ou l’état de santé d’une chauve-souris rien qu’avec son cri. Ces données démographiques ou physiologiques précieuses feront défaut si on s’en tient à l’acoustique seule.

Dépendance aux conditions extérieures : La qualité et la quantité des enregistrements peuvent être affectées par les conditions météo (pluie, vent, température) et l’environnement sonore (bruits parasites). De mauvaises conditions peuvent réduire l’efficacité de détection et compliquer l’analyse des signaux.

Méthode de capture au filet (filets japonais)

La capture au filet consiste à installer des filets fins, dits filets japonais, en travers des trajets de vol des chauves-souris, généralement à la tombée de la nuit. Les chauves-souris volant dans la zone sont piégées dans les mailles du filet, puis délicatement récupérées par les opérateurs. Après identification et collecte de données (taille, poids, sexe, etc.), les individus sont relâchés sur place. Cette méthode plus « active » nécessite une présence humaine tout au long de la nuit pour surveiller les filets et détacher immédiatement les chauves-souris capturées.

Avantages de la capture au filet 

Identification fiable de l’espèce : La capture permet une détermination taxonomique certaine, par examen morphologique direct de l’animal. Cela s’avère particulièrement utile pour les espèces difficiles à différencier par leurs ultrasons (ex. les Murins évoqués plus haut) qui peuvent ainsi être identifiés avec certitude grâce à des clés de détermination physique. On limite ainsi les risques de confusion d’espèces dans l’inventaire.

Données biologiques détaillées : Chaque chauve-souris capturée fournit des informations précieuses sur sa biologie individuelle : espèce, sexe, âge relatif, statut reproducteur (gestante, allaitante, etc.), poids, état sanitaire, présence de parasites, etc. Ces données fines permettent d’évaluer l’état de santé des populations locales et leur succès reproducteur, informations impossibles à obtenir par la seule détection acoustique.

 Études complémentaires possibles : La capture ouvre la porte à des compléments d’étude comme le baguage (marquage) ou la pose d’émetteurs radio pour le suivi télémétrique des déplacements. Ce suivi post-capture aide à localiser les gîtes et zones de nourrissage, améliorant la compréhension de l’écologie des espèces sur le site étudié. De plus, la capture est indispensable pour réaliser des prélèvements biologiques non létaux (par exemple prélèvement de poils, de sang ou de salive) à des fins d’analyses génétiques ou sanitaires.

Aspect pédagogique et formation : Sur le terrain, les sessions de capture peuvent aussi constituer des moments de formation pour les naturalistes (apprentissage de la manipulation d’animaux protégés, reconnaissance visuelle des espèces) sous la supervision de spécialistes habilités. Cela renforce les compétences des intervenants, ce qui bénéficiera aux futures études.

Inconvénients de la capture au filet 

Contraintes logistiques lourdes : La mise en place de filets nécessite un effort important (repérage des sites de passage, installation parfois complexe en hauteur ou en terrain accidenté) et mobilise plusieurs personnes pendant toute la nuit. C’est une méthode chronophage et physiquement exigeante. Il est généralement impossible de se limiter à cette seule méthode pour recenser toutes les espèces présentes sur un site donné.

Efficacité aléatoire : La capture dépend du bon vouloir des chauves-souris à se prendre dans les filets, ce qui introduit une part de hasard. Il n’est pas rare de réaliser une nuit de piégeage sans aucune capture, ou de ne pas attraper les espèces recherchées. Certaines espèces évitent facilement les filets ou volent hors de portée. Ainsi, le résultat n’est pas garanti, même avec un effort conséquent.

Impact et stress pour la faune : C’est une méthode intrusive et perturbante pour les chauves-souris. L’animal pris dans le filet se débat, ce qui engendre un stress important, puis il doit être manipulé (même avec précaution) pour être libéré. Ce stress peut avoir des conséquences graves en période sensible : un stress excessif chez une femelle gestante ou allaitante peut provoquer un avortement ou l’abandon de son jeune. De manière générale, la capture et la manipulation sont considérées comme tout aussi dérangeantes pour les chauves-souris que d’autres interventions lourdes (équipement d’un émetteur, etc.). Il convient donc d’éviter les captures en pleine période de mise bas et d’élevage des jeunes, ou de les minimiser et de prendre des précautions accrues durant ces mois (mi-mai à fin juillet).

Cadre réglementaire strict : Du fait du statut protégé des chiroptères, la capture au filet est strictement encadrée par la loi. Elle ne peut être pratiquée que par des personnes dûment habilitées (détenteurs d’une autorisation préfectorale) et expérimentées. Pour un bureau d’étude, cela implique de disposer dans son équipe de spécialistes chiroptérologues titulaires des permis nécessaires – ou de faire appel à des sous-traitants qualifiés. Les contraintes administratives sont donc un frein supplémentaire à l’utilisation de cette méthode (voir détails ci-dessous).



Cadre réglementaire : protections et autorisations

En France, toutes les espèces de chauves-souris sont intégralement protégées par la loi depuis 1981. Leur destruction, mutilation, capture ou perturbation intentionnelle sont strictement interdites (articles L.411-1 et suivants du Code de l’environnement). Cette protection est formalisée notamment par l’arrêté ministériel du 23 avril 2007 qui liste les mammifères terrestres protégés sur tout le territoire français. Par conséquent, toute manipulation de chauves-souris sur le terrain – en particulier la capture au filet – nécessite d’obtenir au préalable une autorisation spéciale, appelée dérogation espèces protégées.

La demande de dérogation doit être déposée auprès de l’autorité administrative compétente (en pratique, le Préfet de département ou la DREAL régionale). Le dossier justifie la nécessité scientifique ou technique de la capture (par ex. réalisation d’un inventaire réglementaire) et détaille les protocoles prévus ainsi que les qualifications des intervenants. Jadis, ce type de demande faisait quasi systématiquement l’objet d’un examen par le Conseil National de Protection de la Nature (CNPN) ou par le CSRPN (Conseil scientifique régional) avant décision. Cependant, la procédure s’est récemment simplifiée : les demandes de capture avec relâcher immédiat des individus (c’est le cas d’un inventaire au filet) ne sont plus soumises à l’avis du CNPN ou du CSRPN et peuvent être instruites directement par l’administration compétente. En pratique, cela réduit le délai et la lourdeur administrative pour obtenir une autorisation de capture temporaire de chiroptères.

L’arrêté préfectoral délivré précisera les conditions à respecter (périodes de capture, sites autorisés, espèces cibles, etc.). Il est courant que ces autorisations limitent les captures aux personnes nommément citées et dûment formées, afin de garantir le respect du bien-être animal. Travailler sans ces autorisations constituerait une infraction pénale (délit de perturbation d’espèce protégée) passible de sanctions sévères. À l’inverse, la méthode bioacoustique – qui n’implique ni capture ni perturbation directe – ne requiert pas d’autorisation particulière. L’enregistrement passif des ultrasons n’étant pas intrusif, un bureau d’étude peut déployer des détecteurs librement, sous réserve bien sûr de respecter les propriétés privées et les éventuelles réglementations locales d’accès aux sites.

En résumé, le cadre légal encourage à privilégier les méthodes non invasives (comme l’acoustique) et à n’avoir recours aux captures qu’avec parcimonie, en ayant obtenu les dérogations nécessaires. Cela répond à l’obligation de minimiser l’impact des études sur les espèces protégées, tout en permettant de collecter les données indispensables.

Recommandations officielles et bonnes pratiques

Les instances officielles (DREAL, CNPN, Muséum national d’Histoire naturelle, SFEPM…) ont émis des recommandations pour la réalisation d’inventaires chiroptères conformes. Il en ressort qu’aucune méthode prise isolément n’est suffisante pour un état des lieux exhaustif, et qu’il convient de combiner les approches lorsque cela est possible. La bioacoustique est généralement utilisée en première intention pour couvrir un large périmètre et détecter un maximum d’espèces présentes. Elle permet un relevé d’activité initial, sur lequel on peut baser une liste préliminaire des chiroptères du site. Ensuite, des campagnes de capture ciblées peuvent être planifiées de manière complémentaire, afin de confirmer l’identification de certains groupes d’espèces difficiles et de compléter les informations manquantes. Les services instructeurs soulignent par exemple que l’on ne peut se limiter aux seules captures pour dresser l’inventaire d’un site, tant cette méthode est aléatoire et incomplète si elle n’est pas couplée à de l’écoute ultrasonore. Inversement, en cas de doute sur des enregistrements acoustiques, quelques nuits de capture au filet apporteront la preuve matérielle de la présence d’une espèce et éviteront des erreurs d’interprétation.

Au-delà du choix des méthodes, les autorités insistent sur la nécessité d’un effort d’échantillonnage suffisant. Un inventaire chiroptérologique réglementaire doit couvrir l’ensemble du cycle annuel des chauves-souris. Ainsi, le CNPN recommande généralement de mener des prospections sur plusieurs saisons (printemps, été – période de reproduction, et automne – période de transit migratoire) afin de ne pas manquer des espèces présentes à certaines époques de l’année. De même, il est préconisé de multiplier les nuits d’enregistrement acoustique sur chaque point d’écoute (plusieurs nuits par station) pour lisser les variations d’activité liées aux conditions météorologiques. La redondance des mesures renforce la robustesse de l’inventaire et est attendue par les instructeurs lors des dossiers réglementaires. En complément, si des captures au filet sont envisagées, elles devront être effectuées sur des sites judicieusement choisis (gîtes potentiels, corridors écologiques identifiés) et répétées si nécessaire, afin d’augmenter les chances de capturer les espèces d’intérêt.

Les guides méthodologiques officiels (par ex. le “Résumé des protocoles chiroptères en forêt” de la DREAL Occitanie) fournissent des fiches pratiques pour optimiser ces inventaires combinés. Ils rappellent aussi des principes éthiques : limiter le dérangement, ne pas multiplier les captures sans besoin avéré, et toujours manipuler les animaux avec soin. En suivant ces recommandations, un bureau d’étude s’assure de réaliser un inventaire de chiroptères conforme sur le plan scientifique et réglementaire, maximisant la fiabilité des résultats tout en minimisant l’impact sur ces espèces vulnérables.

Conclusion : quelle méthode choisir pour un inventaire conforme ?

En définitive, bioacoustique et capture au filet ne s’opposent pas, elles se complètent. Chaque méthode a ses atouts : la bioacoustique excelle pour détecter rapidement une grande variété d’espèces sans intrusion, tandis que la capture apporte une profondeur d’information inégalée sur les individus et la confirmation des espèces difficiles à reconnaître acoustiquement. Le choix ne sera donc pas exclusif, mais plutôt fonction des objectifs de l’étude et des contraintes du projet.

Pour un inventaire chiroptères conforme aux obligations réglementaires, la stratégie privilégiée par les experts est la suivante :

  • Déployer systématiquement des enregistreurs ultrasonores sur le site d’étude, afin de dresser une liste exhaustive des espèces possiblement présentes. Cette phase de prospection bioacoustique couvrira plusieurs emplacements et plusieurs nuits par emplacement, garantissant une haute probabilité de détection.
  • Planifier des sessions de capture au filet ciblées si nécessaire, par exemple lorsque l’analyse acoustique a révélé des groupes d’espèces indiscernables (p. ex. Murins), ou pour obtenir des données complémentaires sur la population locale. Ces captures seront réalisées par des spécialistes agréés, dans le strict respect du cadre légal (dérogations obtenues) et des périodes adéquates pour éviter de perturber les colonies en reproduction.

En procédant ainsi, un bureau d’étude met toutes les chances de son côté pour fournir un état des lieux chiroptérologique complet et fiable. Cette combinaison méthodologique répond aux attentes des autorités environnementales (DREAL, CNPN…) en matière de diligence et de précaution, tout en optimisant l’efficacité de l’inventaire. Notons enfin que les avancées récentes en matière d’automatisation de l’analyse acoustique (équipements d’enregistrement autonomes, logiciels d’identification assistée par IA) tendent à faciliter l’intégration de la bioacoustique dans les études d’impact, en réduisant le temps d’analyse et en fiabilisant les résultats. Il est donc de plus en plus aisé d’exploiter les avantages de chaque méthode. En respectant les protocoles recommandés et le cadre réglementaire, la méthode d’inventaire des chiroptères retenue – bioacoustique, capture au filet, ou mieux encore un savant mélange des deux – sera à la fois conforme, scientifiquement robuste et techniquement adaptée aux enjeux du projet.

Références : Les informations présentées s’appuient sur les sources officielles et spécialisées suivantes : guide DREAL Occitanieoccitanie.developpement-durable.gouv.froccitanie.developpement-durable.gouv.fr, rapport FRAPNAccvalleedugaron.com, avis du CNPNavis-biodiversite.developpement-durable.gouv.fr, code de l’environnement et documentation juridiquecpepesc.orgoccitanie.developpement-durable.gouv.fr, entre autres. Ces références offrent un cadre de référence solide pour orienter les choix méthodologiques des bureaux d’études réalisant des inventaires de chauves-souris.

Inventaire des chiroptères : bioacoustique vs capture au filet
Olivier DUPRE 3 juin 2025
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